J'ouvre les yeux. Je suis allongée sur mon lit, je fixe le plafond. Je ne bouge pas, je préfère prendre conscience de l'environnement dans lequel je me trouve. Dans lequel je rêve plutôt.
Parce que je suis certaine de m'être endormie il y a à peine quelques secondes.
A cette simple idée, mon coeur se met à battre à tout rompre.
Calme-toi.
Je ne me redresse pas tout de suite. Je joue d'abord avec ma main qui suit les dessins de constellations que forment les étoiles phosphorescentes sur le plafond de ma chambre. Ça me rassure de voir quelque chose que je connais, alors, une fois à peu près calmée, je me lève prudemment. Mais je reste d'abord assise sur mon lit, contre mes oreillers. Je remonte ma couette contre mon visage et essaie de réfléchir un peu.
Si j'arrive à réfléchir, contrôler mes pensées et mes gestes, ça veut dire.... Que je suis encore une fois dans le monde astral. D'accord, très bien. J'ai compris. Sans me lever de mon lit et sans m'éloigner d'un centimètre de mon enveloppe charnelle, je fouille dans les tiroirs de ma table de nuit pour en sortir ma boîte à musique, offerte par Barnabas le jour de mon arrivée ici.
Quand elle arrive dans ma poche, j'inspire profondément pour être bien déterminée, savoir ce que je vais faire et en réaliser les conséquences. Et je me lève d'un coup avant de quitter la sécurité de mon corps pour filer dans ma maison.
J'ouvre la trappe de ma chambre, descend l'escalier sans aucun bruit. L'avantage du monde astral c'est que je peux marcher silencieusement sans aucun problème. Et j'aime ça, pouvoir facilement faire en sorte que personne ne me repère.
Sauf que l'ennui, c'est que les démons ont une très bonne vue.
Ils vous repèrent à deux cents mètres de distance, même parfois plus, sans difficulté aucune. Et je n'aime pas les démons. Ils ne m'aiment pas non plus d'ailleurs.
Je survole lentement, avec une précaution infinie, le sol du couloir du premier étage. C'est bon. Pour le moment il ne se passe rien, je peux tenter le diable (c'est le cas de le dire) et aller faire un tour dans le Néant.
Jusque là ça va. Jamais je ne me suis perdue, sauf lors de mon premier accrochage avec le Corbeau et mon premier coma. Mais après ça je n'ai plus rien eu.
Alors c'est pour cette raison que j'ouvre la porte de ma maison et que je sors dans la rue, ou plutôt dans cet espèce d'endroit qu'est le néan du monde astral. Ce soir, il est plongé dans un brouillard blanc.
Je hausse les épaules.
Ça ne doit pas être grave vu que je n'ai pas de mauvais pressentiment. Je m'avance donc et m'enfonce dans les nuages, sans problème. J'ai l'impression d'écarter de la matière qui ressemble à de la ouate quand je marche ou que je fais le plus petit geste. Sinon, c'est comme si cette matière se colle à moi.
J'aime bien.
Je me croirais presque dans ma couette, parce que dès que je fais un geste, je fais véhiculer de l'air, exactement quand je fais vite bouger ma couverture et que de l'air passe dans l'espace entre ma couette et le matelas de mon lit.
Plus je progresse dans le brouillard et plus je commence à stresser, comme d'habitude. Mais là c'est étrange, je ne vois pas où je vais et j'ai l'impression que ma seule présence bouleverse tout l'équilibre d'un écosystème.
Ça, je n'aime pas du tout.
Mais je continue. Je suis maintenant trop loin pour songer à retourner dans mon corps pour finir tranquillement ma nuit. Et puis.... J'ai envie de me balader.
C'est dangereux. Je sais. Je m'en fiche un peu. Au pire, même si ce n'est pas du tout génial d'être bloquée ici, ça me fera louper des cours. Mais Alex va s'inquiéter... Mes parents aussi d'ailleurs. Je ne veux pas non plus que tout le monde se mette à pleurer alors que je fais juste un cauchemar.


Je m'arrête un moment, histoire d'essayer de me repérer un peu. Je sais par expérience que le monde astral est une réplique du réel. Une réplique exacte en tous points. La preuve, même les morts y sont présents.
Cette idée est tellement glauque qu'elle me fait frissoner. Je sais que l'atmosphère humide du brouillard et l'air froid y est aussi pour quelque chose mais c'est moins... Ridicule.
Je sursaute. J'ai entendu un bruit. Des pas. Une respiration. Quelque chose brille dans un coin, je le vois dans l'extrème gauche de mon champ de vision. Je me fige.
J'attends.
Je ne sais pas quoi.
Mais je suis sûre que la chose va venir vers moi.

Je recule d'un pas, quand j'entends des pas qui se rapprochent. Il y a quelqu'un vers la lumière. Evidemment. Il faut toujours qu'il y ait quelqu'un vers des lumières. Parce que sinon ce n'est pas drôle. A tous les coups ce sera un démon, pour la même excuse idiote.
J'hésite tout de même à partir en courant. Ça ne sert à rien, les démons sont beaucoup plus rapides que nous autres voyageurs, donc je serai rattrapée quand même. Je regrette ma décision de tout à l'heure, j'aurais dû tenter de me rendormir.... Bon sang mais quelle idiote !
Je me frappe le front et la légère douleur instantanée provoquée par l'onde de choc me fait l'effet d'un coup de fouet.
J'ai l'impression de connaître cette démarche. Je l'ai déjà entendue un jour. Mais ce n'est pas possible.
Il faut que j'arrête de me faire des films.
Je vais devenir folle, sinon... Si je ne le suis pas déjà bien sûr.
Mes lèvres s'étirent en un sourire ironique et je préfère rester là à attendre que la chose s'approche de moi. C'est une solution parfaitement débile mais je m'en fiche, en fait.

Et la chose se rapproche de plus en plus. Par réflexe, mon corps se tend à l'extrème. Je suis prête à m'enfuir en courant si c'est la seule solution qui s'offre à moi.

« Vous allez bien mademoiselle ? »

Ma bouche s'ouvre en un O parfait alors que je sors une tête de trois pieds de long. Oh. Mon. Dieu.
Tiens, c'est le cas de le dire. Je viens de tomber sur... Un ange ? Barnabas m'en a parlé un soir. Si il s'appelle Balthamos ou Baruch, je pense qu'il sera légitime pour moi d'éclater de rire.
Je ne réponds rien et me contente de détailler le visage éclairé par la lumière. Toujours cette impression bizarre de déjà-vu.
Je hoche la tête.

« Pardonnez moi, mais est-ce que je vous ai touché ? Enfin pas moi, la lumière... une boule de lumière, elle vous a toucher envelopper ? Au fond, vous ne l'avez peut-être même pas vu... »

Je fronce les sourcils, dubitative.

«Euh... Non, je n'ai rien, ça va...»

Puis quand une question idiote me vient en tête, je me trouve parfaitement ridicule avant même qu'elle ait franchi mes lèvres.


«J'aimerais juste savoir... qu'êtes vous, au juste ?»