Encore me faut-il me souvenir? Cela ne fait pas si longtems, mais tout de même, il y a un moment que je ne me suis pas plongé dans mes souvenirs ainsi...


Période assez paisible que fut mon enfance. Je suis née dans l'abondance d'amour et d'affection. Il fallait dire que j'étais enfant unique, un petit bébé inattendu. En effet, on n'avait pas planifié mon arrivée dans ce monde et je fus une surprise pour mes heureux parents. Je n'eus ni soeur, ni frère. Ma mère ayant connu un accouchement relativement compliqué, les médecins lui conseillèrent de ne pas renouveler l'expérience, pour des raisons médicales. Ils ne s'en plaignirent jamais, du moins me semble-t-il qu'ils vécurent bien avec un seul enfant.

Mon père faisait un bon salaire, nous vécûmes dans une jolie petite maison. Je me rappelle encore de la jolie brique rouge qui l'en recouvrait. Dans notre quartier, notre maison était la plus petite, mais aussi la plus resplendissante. Ma mère adorait s'occuper de son jardin, dont elle prenait soin avec la plus grande affection. Il en était de même pour tous les végétaux entourant notre demeure. Nous n'avions pas à nous plaindre des voisins, c'était des gens courtois qui nous saluaient toujours en passant devant chez nous. Il me fallut grandir pour apprendre qu'un sourire ne témoigne pas nécessairement de l'affection. Je le compris particulièrement lorsqu'en revenant du cinéma, nous retrouvâmes notre jolie maison peinturée par des brigands. J'entendis mon père un jour dire que c'était l'oeuvre d'un voisin jaloux. Je ne compris jamais de quoi ils étaient jaloux, après tout, notre demeure restait toujours la plus petite. En même temps, une famille de trois personnes n'avaient pas besoin de beaucoup de place pour survivre.

Nous vivions bien, assez aisés, mais je savais aussi que ce n'était pas toujours le cas. Nous connûmes certains moments plus difficiles, particulièrement à une époque où ma mère tomba malade et que nous dûmes s'assurer d'avoir les moyens financiers de payer les médicaments de ma mère. N'ayez crainte, ma mère guérit au bout d'une demi-année et nous reprîmes notre vie de famille dans la plus grande allégresse.

Surement ai-je l'air d'une fille de bonne famille qui n'a jamais de problème et dont la vie est parfaite. Cela est à la fois vrai et faux. Il est vrai que je n'ai jamais eu à me plaindre de ma vie de famille, nous étions tout ce qu'il y a de plus normal. Cependant, je ne réussissais pas aussi bien au sein de la société que je le faisais dans ma famille. J'étais timide et je compris vite que cela était un défaut dans l'école privée où j'allais. Je n'étais pas maltraitée, simplement oublié. Il m'arrivait souvent de me retrouver face à une fille qui me demandait si j'étais nouvelle, alors que j'étais dans sa classe depuis le début de l'année scolaire.

Heureusement pour moi, j'étais une femme de conviction et c'est ce qui me permis de sortir de l'ombre. Je m'inscris dans plusieurs comités qui me permirent bien vite de me faire une place dans l'école. Je vins rapidement à diriger le journal de l'école, responsable des décors pour la pièce de fin d'années, organisatrice des œuvres caritatives de l'école et j'en passe. Il ne faut pas croire que j'étais de ces étudiantes qui cherchent l'attention et à avoir l'attention de leur professeur. En fait, j'étais un drôle de personnage. Les professeurs m'aimaient et me détestaient à la fois, car j'animais les activités scolaires tout autant que les manifestations étudiantes.

Mieux vaut arrêter de parler de tout ça. Peu importe la manière dont je le raconte, je sais que j'ai l'air d'une étudiante modèle et chiante. Pourtant, j'étais la première à hurler à l'injustice lorsqu'un professeur ne respectait pas ses engagements ou que les droits des étudiants était brimés... j'avoue que dis comme ça, j'ai l'air encore plus ennuyante. Peu importe, ma vie scolaire à toujours été fascinante à mes yeux! Surtout à l'université.

J'aimais participer, j'aimais changer les choses! La traduction comme choix de carrière ne fut pas évident, car j'aurais voulu pouvoir tout faire. Cependant, j'avais de la facilité avec les langues. Mes origines anglaises y étaient pour quelque chose. Ma mère adorait m'amener le plus souvent possible en Europe. Dès l'enfance, elle s'assura que j'ai vu plusieurs pays et entendus plusieurs dialectes. Écouter des gens parler différentes langues étaient de la musique à mes oreilles. Grâce à un cousin ayant déménagé en France, j'appris rapidement les bases du français et cette langue me fascina rapidement. Il y eut ensuite l'espagnol et je commençai l'allemand et le russe. J'aurais voulu parler tous les dialectes du monde, mais je préférais encore m'assurer que je maîtrisais parfaitement chacune des langues dont je faisais l'apprentissage.

De toutes les langues, je ne pus m'empêcher d'aimer la mienne. Plus que le simple anglais, l'accent «British» dont j'avais quelques résonances dans la voix me fascinait. C'est d'ailleurs peut-être pour ça que je m'épris si facilement d'un jeune anglais. Il avait la classe que j'avais toujours aimé, de la culture et beaucoup d'intelligence. Bel homme, il était le modèle type du beau jeune homme britannique. Notre relation était déjà en soi complexe, car bien que je trouvais le moyen de me rendre souvent en Angleterre, je passais surtout mon temps aux États-Unis. Quand je lui appris que je comptais partir faire un voyage en Afrique pour plusieurs mois, ce fut plus que notre relation put en supporter. Enfin, plus qu'il ne put en supporter. Je le comprenais, bien sur, mais comme n'importe quelle fille, j'aurais voulu qu'il me dise qu'il m'aimait et qu'il m'attendrait, mais les contes de fées ne sont plus au goût du jour. Je pris donc l'avion en ignorant que ce serait la fin de tout ce que j'avais connu.

L'instant de ma mort est encore flou à mon esprit. Je me souviens d'avoir remarquer que les hôtesses de l'air étaient agitées, puis on nous demanda de bien boucler notre ceinture. Il fut question de turbulence, de bourrasque, d'éclairs, de bris mécaniques... Je me souviens d'avoir vu le masque à oxygène pendre devant mon visage et de ne pas avoir compris. Je l'ai enfilé, bien sur, mais je n'avais pas encore réalisé que la mort m'attendait les bras tendus. Il y eut un bruit. Je sentis le vent, la bourrasque et le chaos envahir l'appareil. Nous tombions en chute libre et la dernière chose dont je me souvienne c'est d'avoir voulu regarder le passager à ma gauche, côté hublot, et de n'avoir vu alors qu'un grand vide. Ce vide envahit ensuite mon esprit et je revins à moi dans un autre monde.

Le monde astral n'est pas si différent en apparence et pourtant tout y ait différent. Je compris avec le temps et certaines explications que nous ne resterions pas humains. Nous allions changés, certains prendraient la voie du mal et d'autres celle du bien. Je ne pus jamais hésité, pour moi, il était évident que je devais prendre la voie du bien. Le monde m'apparaissait différemment et je compris qu'il y avait des vies en jeu. Ma famille pleurait ma mort, mais il était de mon devoir de les protéger, maintenant que je savais la vérité sur le monde.

Je suis un ange des plus banals, j'essaie surtout de rester humaine. Je vais souvent dans le monde humain, repérer ce qu'il devient de ce monde. J'ai toujours surveillé mes parents de loin, mais je n'ai jamais eu le courage de m'en approcher. Je sais que j'étais leur seule fille, je sais qu'ils ont souffert et je ne puis supporter de voir à quel point ma disparition doit les avoir démoli. Le monde des humains me manquent, plus que tout. J'ai l'impression que ma vie d'ange est un cadeau empoisonné. Il y aura toujours des morts, toujours des démons qui apparaîtrons et il sera toujours de notre devoir de les arrêter... cela me paraît une tâche éternelle et j'ignore si j'ai la force de l'effectuer.

Je ne pourrai jamais récupérer ma vie, mais j'ignore s'il est possible de se renconstruire une vie une fois que nous sommes morts. C'est ironique je sais, mais cela me manque de pouvoir avoir des projets. J'aimerais tellement pouvoir... je ne sais pas... j'essaie de ne pas être égoïste, mais parfois je me demande où tout cela me mène.

Je suis une femme calme et paisible. Je ne suis pas l'ange le plus dévoué à la tâche, je l'admets. J'ai tendance à me perdre dans mes pensées et d'ailleurs, certains anges s'en moquent un peu. Je suis pourtant pleine de coeur et je veux aider ces gens, mais j'ai l'impression de vivre l'enfer de la boucle éternelle. Je reste cependant optimiste et jamais je ne laisserai un voyageur se faire blesser par un démon en ma présence.  Les démons me font horreur, cela n'a rien de surprenant. J'aime bien à les narguer quand ceux-ci sont arrogants... d'ailleurs, ils le sont presque tous.

Je suis enjouée, peut-être est-ce cela qui me rend différente des autres anges, certains étant si sérieux! J'essaie non seulement d'aider les voyageurs, mais de profiter de leur compagnie humaine. Ce vide en moi grandit de plus en plus et je ressens de plus en plus le besoin de faire des visites dans le monde réel, cachée bien sur, mais ne serais-ce que pour goûter au monde des vivants.

La mort a l'avantage peut-être unique de m'avoir permis d'abandonner la peur du jugement. Bien que j'étais une humaine impliquée, je prenais toujours soin de ne pas être trop remarqué, de rester dans le moule pour qu'on m'oublie. Une fois mort, à quoi cela peut bien servir. Ainsi, je peux parfois opter pour l’extravagance, mais qui pourrait me le reprocher?