Aussi loin qu’on s’en souvienne, Romy n’a jamais été une bête de foule. Quand elle grandit, dans un petit village gallois, c’est une enfant palote et grise. Ses parents ont toujours veillé sur elle avec amour, ainsi que ses grands-parents, ses oncles, ses tantes et ses cousins. Mettre au monde un enfant qui n’apporte ni joie ni beauté était une petite épreuve. Les médecins n’expliquaient pas cette attitude et Romy goba tout l’alphabet des vitamines toute sa vie. C’était déjà une gamine d’une sensibilité absurde. Elle ressentait comme monstrueuse la moindre contrariété de son entourage et prenait déjà l’habitude de se réfugier dans une pièce à l’écart de tout le monde. En grandissant, son corps s’allongea mais sa maigreur restait et l’enseignement secondaire fut un véritable traumatisme. Romy recevait la moindre pique, la moindre expression de moquerie à son égard, comme il est très fréquent à ce niveau, comme un attentat à la pudeur incroyable ou comme une vraie expression de haine de la part de ses camarades. Elle ne garde pas un souvenir exceptionnel de sa jeunesse en général.

Fréquemment, ses accès de dramatisation s’accompagnaient de sensations très étranges de chaud ou de froid. Il lui prenait parfois des poussées de fièvres incroyables.
Romy découvrit que son empathie extrême s’étendait au-delà des vivants quand elle visita, lors d’une visite touristique, le site des catacombes à Edimbourg. Les sensations de chaud et de froid s’enchaînèrent pendant le chemin, elle fut presque aveuglé et eut de très gros maux de tête en traversant certaines salles. Elle fini la visite en vomissant tout son repas dans l’ascenseur. Une fois dehors, sa vision se dégagea, son crâne refroidit instantanément et il ne lui resta que le souvenir traumatique de cette horrible expérience corporelle. Le lendemain, elle choisi d’y retourner avec une amie et des symptômes différentes apparurent. Ses muscles se crispèrent affreusement devant les petites grottes où crevaient recroquevillés le peuple misérable de la cité il y a des siècles. Plus étonnant, il lui paru distinctement sentir des contacts invisibles. A la sortie, elle vomi de nouveau. Le guide admis naturellement qu’elle était claustrophobe et que ce genre d’expérience ne pouvait pas lui convenir. Pourtant Romy adorait randonner dans des canyons ou visiter des grottes préhistoriques lors de différentes voyages. Elle avait le sentiment d’avoir entendu les morts durant cette visite.

Etrangement, elle fut fascinée. A cet âge là il en faut peu. Romy vivait ces deux calvaires comme l’aboutissement d’un mal qu’elle n’avait jamais trop su expliquer en elle. Elle commença à visiter des cimetières autour de chez elle et à fréquenter des lieux de tourisme un peu glauque. Ce fut amusant pendant quelques mois. En France, elle visita un haut-lieu du meurtre médiéval qui la décida à arrêter ce jeu stupide. Romy pouvait sentir la terreur vécu par des enfants assassinés pendant la guerre de Cent Ans, elle pouvait sentir poindre sur le bout de sa langue, spontanément, des lettres de leurs prénoms, deviner leur sexe et sentir leur présence martyrisée.
Quand elle se rendit aux Etats Unis à l’âge de 25 ans, elle consulta un médium de son voisinage qui lui prêta quelques DVD sur une émission complètement débile sur les chasseurs de fantôme. Sa voisine était assez formelle en entendant son récit. Il y avait de forte chance pour que Romy soit elle aussi une de ses portes entre vivants et esprits. Surtout, elle lui expliqua que sa sensibilité en découlait forcément.

Romy essaya pendant longtemps de rendre son don utile tout en travaillant. Elle se créa même pendant une courte période une petite annonce dans des journaux et des gens l’appelaient pour apaiser leur douleur après la disparition d’un proche. Elle leur rendait visite, ils la payaient. L’évidence venait à elle sous forme de degré, de voix, de corps, de vision. Elle faisait le bien. Elle faisait du bien. Les gens étaient heureux. En balbutiant elle pouvait leur exposer les rancoeurs, les regrets ou la compassion du disparu. Pour elle c’était palpable. C'était comme dans une série à l'eau de rose sur TF1 avec de la magie. Elle a même suivi quelques cours en parallèle pour approfondir son sujet. Les garçons et les femmes qui sont sortis avec elle ont tous été fascinés par cette espèce de sensorialité d’un autre monde, même si Romy n’était pas une très bonne petite amie.

Elle s’associa même avec d’autres médiums pendant un temps. Romy fit beaucoup d’expériences. Elle tenta de prêter sa main à une entité et produit des peintures terribles. Elle tenta de prêter sa voix à un esprit et se brûla presque les cordes vocales. Elle voulu les entendre et les voir mieux. D'expérience en expérience elle mesurait le danger de ce métier. A la mort de son père, elle revint en Angleterre et reçu de plein fouet toute la tristesse de ce vieux monsieur qui s’était laissé mourir seul.
Un jour, elle mit totalement fin à son activité. L’empathie qu’elle créait avec l’autre monde était de plus en plus profonde et de plus en plus terrifiante. Son corps fatiguait, son esprit délirait beaucoup, elle voyait des choses partout et accumulait les petits traumatismes.
Des activités comme la menuiserie et la peinture lui convenaient mieux. Avec l’avènement d’internet, elle se créa une petite boutique et s’installa à l’écart des grandes villes. Elle s’installa avec ses chiens et refusa toute autre compagnie. Le monde des humains et des morts lui procure trop de troubles, elle sait que pour préserver sa santé il vaut mieux qu’elle s’en tienne écarté.